Entretien avec Fabien Vallos, écrivain, fondateur du collectif MIX.

MIX. est un collectif d’artistes travaillant à mettre en place des dispositifs reliant travaux de recherche, expositions et publications. Il fonde en 2002 les éditions MIX. avec à ce jour la collection « noirs » littérature et la collection « gris » philosophie.
Fabien Vallos est né en 1972, doctorant en sémiologie et en anthropologie de l’art et professeur de philosophie à l’École des Beaux-Arts de Bordeaux. Il est le fondateur du collectif MIX.
et des éditions MIX.

S.D. Comment est né le collectif ? Vous (Alex Pou, Claire Malrieux et toi-même) êtes deux plasticiens, un écrivain, cette transdisciplinarité est-elle constitutive du projet de départ ?
Quel est le rôle de chacun (si rôles définis il y a) ?


F.V. Nous n’aimons pas beaucoup le terme de transdisciplinarité mais plutôt celui de diversité; et elle est effectivement constitutive du collectif, comme principe de départ et comme fonctionnement. Nous n’avons aucun rôle défini sinon celui d’être chacun un membre du collectif. Ce que nous tentons, c’est justement la possibilité de produire des pièces, des événements qui ne puissent être constitués que par nous trois mais toujours singulièrement signés du collectif MIX. : le plus beau compliment qu’on nous aie fait est de nous dire que ce que nous faisons est inconcevable et infaisable seul…


S.D. En quoi consistent exactement vos activités dans les lieux d’art contemporain (Comédies) / vos collaborations avec les écoles de beaux-arts (Bordeaux/Valence)?


F.V. Nous répondons à des invitations et produisons alors une pièce, un événement. À l’école des beaux-arts de Valence nous avons réalisé un work shop et une exposition avec les étudiants.


S.D. À ce sujet, Alex Pou parle des Comédies, (9 à ce jour), de ‘la construction d’un puzzle’, peux-tu développper ?


F.V. Comédie est en somme un travail sériel qui prend diverses formes (expositions, installations, événements, films, publications). Il y a à l’origine une exposition collective (Paris 2001) pour laquelle nous avons engagé une réflexion sur les notions de spectacularisation et de parodie. Puis nous avons construit une recherche sur cette grosse notion de comédie. À partir des travaux du philosophe italien Giorgio Agamben (La fin du poème); nous considérons que les temps modernes sont fondamentalement comiques et anti-tragiques : nous avions écrit ce texte pour la présentation de l’exposition Comédie 8 (remarques sur l’acier) : « C’est notre thèse : tout est comique, spectaculairement comique. Notre destinée bienheureuse nous devance et en attendant qu’on vienne nous dire que nous pouvons quitter notre coin où nous sommes punis, nous nous y ennuyons : alors autant qu’on puisse néanmoins y prendre du plaisir. Notre faute n’est plus subjective, au pire c’est de la négligence (hamartia), au mieux c’est pour rire (ludus). » L’ensemble des Comédies construit donc une forme complexe par assemblage autour de la parodie : en ce sens c’est un puzzle, une nouvelle appréhension des formes plastiques dans le continu et dans le temps.


S.D. Dans ces interventions (Comédie en particulier) apparaît souvent la notion de théâtralité? Pourrais-tu développer cette idée de mise en scène, de comédie, voire de burlesque, d’ironie, dans vos travaux. Entretenez- vous volontairement une connivence avec ce qu’on appelle ‘les arts vivants’?


F.V. Il me semble qu’il s’agit plus de la notion de spectacularisation et de son appréhension critique. Nous tentons de développer une réflexion (conceptuelle et plastique) autour des formes du burlesque comme gag et de la parodie. Je crois que nous ne nous intéressons pas à l’ironie (elle doit rester privée). Il est particulièrement difficile à trois de construire quelque chose : nous sommes tous fondamentalement toujours à côté ! La parodie, c’est ça, amener à côté, dé-jouer au sens propre pour produire d’autres formes avec des préoccupations continuelles pour la littéralité, l’auto-nettoyage, la location, le combinatoire.
Nous entretenons donc volontier des rapports de connivence avec ce dont nous avons besoin.
Nous avons beaucoup travaillé avec l’acteur Sharif Andoura.


S.D. Plus précisément pourquoi éditer des textes ? Comment choisissez-vous vos auteurs ? Pourquoi ces catégories blanc /gris /noir ? Quel sens a cette classification ?


F.V. Nous éditons d’abord par envie et puis on se persuade toujours qu’il y a tant de textes qui méritent d’être publiés… Nous choisissons et publions les textes que nous aimons, c’est déjà beaucoup !
Aujourd’hui nous ne conservons que la collection “noirs” dédiée à la littérature et la collection “gris” dédiée elle, aux essais et à la philosophie.


S.D. Pourquoi as-tu éprouvé le désir de traduire ce texte du Pontormo (dans une collection qui se revendique résolument contemporaine) ?


F.V. Nous avons toujours eu l’envie d’ouvrir nos collections à des textes plus anciens : c’est chose faite avec le Pontormo. J’ai d’autre part une fascination pour ce journal et pour ce peintre. Ce texte était devenu introuvable en français, nous avons donc tenu à le publier.
Et puis la lecture n’est-elle pas toujours contemporaine, même celle d’un texte du XVI° siècle?


S.D. Vous considérez-vous commme indépendants ? Vous avez tous les trois, une formation institutionnelle (prestigieuse) (les Beaux-Arts pour A. Pou et C. Malrieux et la Sorbonne pour toi). En quoi ces parcours influencent-ils (ou pas) les pratiques et expériences que vous développez au sein du collectif ?


F.V. Quoi qu’il en soit nous essayons d’être indépendants.
C’est encore une fois la différence de nos parcours qui crée la particularité de nos travaux, et nous avons bien sûr chacun nos domaines de compétence : en somme nous sommes trois fois plus compétents ! (je plaisante bien sûr…)


S.D. Quelle est votre position sur la loi du marché dans la production / diffusion culturelle aujourd’hui?


F.V. Nous ne sommes pas dans le “marché” et nous assurons la plus grosse part de ce qui nous diffuse (nous médiatise).


S.D. Mix est né en 1999, Est - il difficile de ‘durer’ ?


F.V. En soi non. Mais il y a une double difficulté, celle de tenir un travail à plusieurs, et celle de médiatiser et de diffuser ce travail.


S.D. Dans un entretien avec Xavier Cahen (consultable sur pourinfo.org), Alex Pou explique que la raison pour laquelle la revue ON n’existe plus est qu’il serait difficile de faire coexister le monde des arts plastiques et celui de l’écriture? Mix en est pourtant la preuve contraire?


F. V. Je pense qu’il s’agissait de la difficulté de faire coexister ça dans une édition papier. Et la revue nous a épuisé : financièrement et dans sa pertinence.


S.D. Plus loin, il fait une référence aux films de Debord et ose un parallèle (si j’ai bien compris) sur l’utilisation que le collectif fait des images (c’est à dire : ne jamais filmer, utiliser ce qui existe déjà); il explique que vous seriez dans un acte non consumériste, sans production, mais toujours de recyclage, pour travailller le matériel visuel avec de la distance et un regard critique. Peux-tu expliciter ce point ?


F.V. Ta question est une réponse presque parfaite ! Plus précisément je crois que nous assemblons plus que nous recyclons puisque nous sommes (si j’ose dire) parodiquement locataires de tout : c’est-à-dire nous ne sommes pas détenteurs d’une valeur mais locataires d’usages (à réinscrire et reformuler, incessament).

Au catalogue des éditions MIX. chez votre libraire ou sur le site du collectif (www.collectifmix.org) :


inch'menschen, Antoine Dufeu
Ésaü à la chasse, Jérôme Mauche
Cavales, Antoine Boute
Marges intérieures, Alexis Pernet
Les reduplications, Samuel Rochery
Journal, Jacopo da Pontormo (Introduction, notes et postface de F. Vallos)
Nous, Antoine Dufeu
Éloge de l'aspect, Pierre-Damien Huyghe
De la pornographie, Georges Molinié
L’hypostase sous-tendue du coup de maître raté, Jérôme Mauche
Faire Place, Pierre-Damien Huyghe
La contingence des crustacés, Gilles A. Tiberghien
Propaganda 6, Alex Pou
Démence pugilistique chez un artiste alcoolique atteint d’un nanisme achondroplasique, Jean-François Chermann

À venir:
Fiat Lux, Christophe Manon (octobre 2006)
Le poétique est pervers, Fabien Vallos (décembre 2006)
L’Éclipse, P.N.A. Handschin (décembre 2006)
Dictionnaire des longues distances, Bruno Pellier (décembre. 2006)
Le paradoxe de l’instant, Sophie Coiffier (décembre 2006)
La théorie du commensal, Gauthier Herrmann (mars 2007)
et
Un ouvrage de Gilles A. Tiberghien sur le paysage
& un ouvrage de François Roche (architecte)