Entretien avec Jacques Josse, écrivain et éditeur

par Mathieu Brosseau

 

 

M. B. Auteur d’une vingtaine de récits et de recueils, de la prose aux vers, peux-tu nous dire ce qui t’amène à l’un, à l’autre ? Quels sont ‘tes’ auteurs, ‘tes’ mouvements et influences : en somme, d'où vient ton écriture?


J. J. A vrai dire, je n’écris pratiquement plus qu’en prose. Cela va des textes brefs (poèmes ou vignettes de 10/15 lignes) aux récits en passant par les portraits, les évocations, les promenades.
Mes auteurs sont multiples. Ce sont pour la plupart des écrivains traduits. Certains m’accompagnent depuis longtemps. Difficile de les citer tous. Ceux que je relis régulièrement : Bohumil Hrabal, Herta Muller, John Mac Gahern, Erri De Luca, Rigoni Stern, Lobo Antunes, Raymond Carver… En fait, ceux dont les textes, souvent autobiographiques, en prise directe avec la réalité, se trouvent à la fois traversés par des bribes imaginaires et par la présence de personnages apparemment secondaires mais s’avérant au fil des pages importants. Ce qui m’intéresse c’est de voir comment, chez eux, la mémoire travaille. En fait c’est comme avec le bois, le vin, etc. Elle en arrive à faire bouger un passé que l’on pensait figé et à créer par la même de la fiction.
Au début j’ai été très sensible à ce qu’écrivaient les auteurs issus de la « Beat Generation », en particulier Kerouac, Ginsberg, Corso et Snyder. C’est sans doute par eux que je suis venu à l’écriture. Le côté spontané, improvisé de leurs poèmes (surtout Howl et Kaddish de Ginsberg) m’a aidé à vaincre certaines appréhensions.

 

M. B. Quelle place prend le thème de la mort, dans tes vers ou dans ta prose?


J. J. La mort n’est en effet jamais très loin. Je dois dire que je l’ai côtoyée très tôt. Quand j’étais enfant, le soir, la nuit ou parfois au lever du jour, on venait frapper au carreau et chercher ma mère. C’est elle qui faisait la toilette des morts du village. J’entendais. Je captais des murmures. Tout ça attisait ma curiosité… C’est probablement aussi très lié à une histoire de territoire et de culture. Ici, en Bretagne, la présence de la mort est au centre de bien des préoccupations. Un tas de légendes s’y greffent… La récurrence de ce thème est également due au fait que je creuse beaucoup autour de la mémoire collective du hameau et que ce travail-là ramène à la surface pas mal d’ombres errantes. Plus ou moins vivantes d’ailleurs… Ce n’est pas la mort elle-même qui circule ainsi dans mes textes mais plutôt ceux qui ont franchi la frontière et se trouvent donc de son côté. J’essaie parfois, à ma façon, de leur faire changer de berge… Finalement, cette rôdeuse aurait plutôt tendance à décupler mon envie de vivre…

 

M. B. L'autre est-il cet horizon inatteignable ? Décrire l'autre, est-ce une façon de le ressusciter ou de le rapprocher de soi?

 

J. J. Il s’agit de l’imaginer, de le faire vivre ou revivre, de donner corps, chair et voix à cet « autre » un peu étrange qui se trouve parfois être également enfoui en nous. Aller à la rencontre de ces êtres multiples (et pas forcément sympathiques) qui nous habitent.

 

M. B. Et la prose... comment y es-tu venu ? Qu'implique la narration?

 

J. J. Il y a eu une période, vers 1989/90, où la poésie telle que j’essayais de continuer à la rendre possible (avec des écarts, des déhanchements, des coupures, des vers de plus en plus brefs) a brusquement viré au procédé exponentiel. Ce que j’écrivais ne me convenait plus. Je voyais trop les défauts, les tics d’époque, les trucs râpés jusqu’à l’os. Je sentais également le côté restrictif de cette écriture qui jouait à tout raboter alors que l’envie d’adopter une respiration plus longue, bref d’aller vers la narration et l’introduction de dialogues dans le texte devenait forte. La prose est arrivée comme ça. Fallait ouvrir les fenêtres. Déambuler, se mouvoir. Dans l’espace et le temps. Y revenir, repartir. La narration m’a aidé à mieux respirer. Et pas seulement dans le texte. C’était une évidence physique. Ce qui était saccadé, scandé est devenu plus ample, plus sinueux.

 

M. B. Tu es auteur, éditeur, animateur de revue, directeur de collection et tu participes fréquemment à certains sites internet (remue.net, notamment). Comment et où se trace la frontière entre ton travail et celui des autres?

 

J. J. Oui, il y a une volonté de partage. Et pour que cela devienne possible, il ne peut y avoir de frontière. Dans ce que tu viens d’énumérer, ce qui m’apporte le plus, c’est sans conteste la lecture. J’essaie à partir de là de créer des liens, des passerelles entre lire et écrire. Cela passe, outre ces deux activités, par l’édition et les notes de lecture, ou tout au moins (je ne suis pas critique littéraire) par ce tissus d’émotions et de réflexions que tel ou tel livre peut faire naître en moi et que je tente de retranscrire par écrit. Tout est mêlé et fragile. Je tiens grâce aux autres.

 

M. B. En tant qu'éditeur, tu as commencé par les revues. Tu as créé la revue Foldaan, peux-tu nous en parler?

 

J. J. Foldaan a duré sept ans. Huit numéros, 1000 pages. C’était à la fois une revue de création avec de nombreux inédits et un espace où les chroniques et les critiques tenaient une large place. Entre les deux, il y avait un cahier consacré à un plasticien (Rancillac, Ipoustéguy, Giai-Miniet, Schlosser…) avec reproductions, entretiens, visites d’ateliers, études. C’était une belle aventure. Qui s’est terminée il y a vingt ans, à peu près à l’époque de mes incertitudes vis-à-vis de ma propre poésie.

 

M. B. Et puis, à partir de 91, tu t'es lancé dans l'aventure Wigwam. Cette maison d'édition compte aujourd'hui 75 titres et a publié entre autres Matthieu Messagier, James Sacré, Antoine Emaz, Daniel Biga,... Comment rencontres-tu tes auteurs ? A partir de quel moment sais-tu qu'ils feront partis de l'aventure Wigwam?

 

J. J. Beaucoup de ces poètes ont auparavant figuré au sommaire de la revue Foldaan. En règle générale, j’aime rencontrer les auteurs et c’est moi qui suis demandeur. Il faut non seulement que j’apprécie leur démarche, leur recherche, mais qu’il y ait en plus une connivence, une complicité. Pas forcément de l’amitié mais un lien qui fasse que cette publication soit le résultat concret d’un bout de route réalisé ensemble, sans heurt et susceptible de se prolonger dans le temps.

 

M. B. Les éditions Wigwam ont trois collections : "Ecrits de peintre", "Collection Wigwam" et "Poésie traduite". Peux-tu nous raconter l'histoire de ce tryptique ? Dans tes plaquettes, quelle place occupe la peinture?

J. J. Là encore, l’histoire de la revue se poursuit en filigrane. Poésie (francophone – c’est la collection Wigwam – ou traduite) et peinture restent extrêmement liées. Parce que l’une et l’autre me sont essentielles au quotidien. Depuis deux, trois ans, je publie un peu moins de textes dans la collection dédiée aux peintres. Avant de les solliciter, j’aime aller les voir. Si possible fureter dans leur atelier. Questionner, discuter. Cette collection est née un peu en réaction à un tas de textes lus « sur » les peintres. Souvent, cela me barbait. Je trouve que de nombreux peintres s’expriment bien mieux, et avec beaucoup plus d’originalité et de spontanéité, que ceux qui prétendent nous aider à mieux les connaître.

 

M.B. Wigwam publie essentiellement des plaquettes de 16 ou 24 pages imprimées en typographie. Peux-tu nous expliquer ce choix esthétique ? Pourquoi des textes courts uniquement ?

 

J. J. La plaquette a tendance à passer inaperçue. J’ai pensé qu’il fallait, pour la rendre visible, soigner l’objet et la typo (au même titre que le choix du papier ou des caractères) en est un des éléments. J’espère pouvoir continuer ainsi mais les typographes se raréfient et je travaille actuellement avec le dernier en activité en Bretagne.
Les textes courts correspondent à une envie de créer une collection qui tient plus de l’anthologie personnelle que de l’édition proprement dite. Chaque auteur n’est publié qu’une fois. Il garde ses droits. Son texte est la plupart du temps réédité dans un ensemble plus conséquent chez un autre éditeur. Je voulais qu’il y ait une certaine souplesse. Créer, de plus, quelque chose de tenable financièrement.
Il y a une vingtaine d’années, une revue s’appelait « Chronique des écrits en cours ». Je crois que cette définition irait bien aux cahiers Wigwam !

 

M..B. Tu co-diriges avec François Rannou la collection "Piqué d'étoiles" chez Apogée. Quelle est votre ligne ? Vers quoi voulez-vous aller ?

 

J. J. Il n’y a pas, tout comme au sein des éditions Wigwam, une ligne précise et stricte. Nos choix sont d’ailleurs assez éclectiques. Par contre, la collection ne publie que des récits. C’est ce que nous a demandé André Crenn qui dirige Apogée, quand il nous a suggéré de réfléchir à ce projet. Nous tenons à aller vers des auteurs singuliers qui mènent une recherche personnelle, qui ont une exigence littéraire bien affirmée et qui ne font pas la moindre concession au romanesque facile. On y retrouve Françoise Ascal, Michel Dugué, Anne-José Lemonnier. Des écrivains dont on ne parle pas beaucoup et dont plusieurs sont également poètes… En 2007, nous publierons par exemple Michaël Glück, Alain Jégou, Michel Valprémy, Christian Bachelin…

 

M. B. On te croise fréquemment de salon en marché et bien souvent, tu participes à des lectures... Peux-tu nous dire quelle est pour toi l'importance de lire en public, d'être lu, de se rencontrer ?


J. J. L’écriture est une telle affaire de camp retranché qu’il me faut réellement m’aérer, m’échapper, aller à la rencontre ! Il s’agit aussi de se délester parfois d’un fardeau trop lourd à porter. Le soumettre à d’autres yeux, d’autres oreilles. S’en séparer… Si j’ai souvent besoin de silence, de calme, d’une vie un peu en retrait, au point d’être peu présent pour mes proches, il m’arrive aussi d’être en manque d’agitation, de tension, de déplacements. J’y prends de l’énergie. Cela me requinque toujours.


Jacques Josse est né le 10 juin 1953 à Lanvollon dans les Côtes d’Armor. Il vit à Rennes depuis une vingtaine d’années.
Auteur, il a notamment publié :
Deuxième tableau (poèmes), Le Castor Astral & L’Atelier de l’Agneau, 1983
Talc couleur océan (poèmes), La Table Rase & Les Ecrits des Forges, 1985
Le Veilleur de brumes (récit), Le Castor Astral & La Rivière échappée, 1995
Un Habitué des courants d’air (récits), Cadex, 1999
Café Rousseau (récit), La Digitale, 2000
Ombres classées sans suite (récits), Cadex, 2001
Lettre à Hrabal, Jacques Brémond, 2002
De passage à Brest (récit), La Digitale, 2003
Vision claire d’un semblant d’absence au monde (poèmes), Apogée, 2003
Bavard au cheval mort et compagnie (récits), Cadex, 2004
Les Buveurs de bière (récit), La Digitale, 2004
Editeur, il a animé la revue Foldaan (1980-1987) avant de créer les éditions Wigwam en 1991. Il codirige avec François Rannou la collection « Piqué d’étoiles » aux éditions Apogée.
Contact : Wigwam, 14 bd Oscar Leroux 35200 Rennes
Site : www.wigwametcompagnie.net