Catherine Millot, La vie parfaite. Jeanne Guyon, Simone Weil, Hetty Hillesum, Paris, Gallimard, L’infini, 2006. ISBN 2-07-078140-2


       Le dernier ouvrage de C. Millot est un pendant à Gide Genet Mishima. Intelligence de la perversion (1996) et s’intéresse à la jouissance féminine telle que la théorise Lacan en 1972 dans un de ses plus beaux séminaires, Encore. La jouissance mystique qui lui sert à articuler la jouissance féminine ne s’avoue qu’à demi-mot, elle est « pas-toute ». Sans doute cette formule était-elle trop novatrice ou sujette à déformation pour qu’elle puisse avoir un effet durable sur les débats féministes français et proposer des idées, des inventions de formes de vie autres que normatives. À l’heure où la différence sexuelle relève soit de la génétique érigée en cadre indépassable, soit de la construction sociale qui oppose les sexualités, il est salutaire de voir un ouvrage reprendre les élaborations lacaniennes pour en montrer la pertinence et résoudre la question des références lacaniennes aux mystiques de la fin du Moyen-âge et de la Renaissance.
      
Lacanienne hétérodoxe, C. Millot construit trois portraits, trois « vies » orientées par cette jouissance
« supplémentaire » : Madame Guyon au XVIIe siècle, la philosophe Simone Weil et Hetty Hillesum au XXe, trois destins présentés dans leur affrontement à la question de la jouissance infinie, excédentaire, ce qui ne signifie pas hédoniste ou débridée. Loin de la (fausse) dichotomie universitaire entre « l’homme et l’œuvre », elle montre que la femme, c’est l’œuvre, les textes et les actes compris dans leur aspect signifiant. Elle est, selon ses mots, « embarquée avec chacune comme pour une traversée », inconditionnelle de Guyon qui a voulu inventer « une autre possibilité de vie », réservée sur l’expérience de S. Weil et admirative de la « courbe parfaite » de l’existence d’Hetty Hillesum (251).
     C’est d’abord Madame Guyon qui « prend le large » où advient la vastitude à travers un mouvement nécessairement sans fin. Car la mystique est affaire d’espace où le sujet prend le chemin de l’intérieur pour trouver une sortie vers un extérieur qui ne renvoie plus vers une quelconque intériorité. À la différence de l’extase qui est une sortie provisoire, la sortie est ici « continuelle » (14). Les mystiques trouvent la solution miracle au problème du rapport exclusif et permanent à Dieu et de l’existence mondaine en dépassant l’alternance entre contemplation et action par une transformation de la personnalité.
      Guyon est le produit de siècles de culture spirituelle, d’ascèse, qu’elle porte à un grand degré d’accomplissement à travers le récit de sa vie. Cet accomplissement se fera par l’intermédiaire de paroles masculines (Guyon « fut une dirigée soumise et reconnaissante » écrit Millot) qui scandent son accès progressif à un mysticisme dont la logique est progressivement dépliée. La mystique est une opération de reconstruction subjective où l’opposition intérieur/extérieur a disparu, où le sans-fond est celui de la divinité : « La transformation opérée par la voie mystique s’apparente à un changement de surface topologique » (31).
       Guyon commence par adopter l’oraison qui va l’amener à un désintéressement total ou pur amour. S’il existe divers degrés de la prière, l’oraison « de simplicité » consiste à suspendre les prières vocales pour se tenir en silence devant Dieu et se pénétrer de sa présence. C’est ainsi qu’elle va connaître une première conversion via la parole d’un franciscain, qui lui signifie qu’elle possède l’objet de son manque et qui lui enjoint de se tourner vers l’intérieur plutôt que vers l’extérieur. Le ravissement auquel il l’invite implicitement est « sortie de soi où l’âme ‘perdant toute propriété passe en Dieu sans effort ni violence, comme dans le lieu qui lui est propre et naturel’ » (30) et c’est plus tard qu’elle trouvera ce lieu de la vie parfaite où l’âme réintègre son être originel et l’infini. Sa transformation procède par étapes : c’est d’abord le corps dont il faut abolir les plaisirs et les dégoûts. L’ascèse consiste à mettre le principe de plaisir hors jeu, à travers le forçage de la douleur. Ce forçage, qui se retrouvera chez Weil et Hillesum, transgresse la limitation. Il ne ressortit pas au masochisme mais à une volonté d’indifférence et d’abolition de la distinction originaire entre bon et mauvais mise en place par le jugement d’attribution.
      Après la mortification physique, advient la mortification de la volonté et de l’esprit grâce à l’amour de Dieu qui anéantit le moi comme siège de la réflexivité. Cet abêtissement consenti possède une valeur centrale dans l’expérience mystique. Il faut consentir à sa perte, au délaissement de soi, au désistement, à la passivité pour accéder à l’au-delà du plaisir et du déplaisir, du bien et du mal. Pour Guyon, la volonté de Dieu définit cet espace, la douleur en marque le seuil. Ce temps de la mort spirituelle est constitué de pertes successives qui culminent dans la perte du plus précieux : « l’assurance d’être ‘enfant de dieu’ » (52), c’est-à-dire la désubjectivation symbolique. Enfin, il faut faire horreur à Dieu lui-même, éprouver le temps où l’on ne sent plus rien et où commence l’anéantissement.
     La mort mystique est un anéantissement du moi entendu comme « organisation pour résister à la passivité essentielle du sujet à l’égard de l’Autre » (53) en brisant le miroir narcissique qui a pris la place de l’Autre afin d’anéantir la réflexion aliénante qu’il renvoie. Ceci pour l’identité imaginaire, car le moi est aussi le voile d’une « corruption ouverte comme un abîme au creux de la vie, la pourriture qui est notre vie dernière » (54) et c’est ce rebut, ce « reste d’être » qui doit être destitué in fine. Il faut se faire « sujet sans ego, acéphale » (55), dans une traversée de l’imaginaire et du symbolique. Mais, après ce douloureux passage, les signes s’inversent : « Le néant se fait élan, pur élan de la vie à foison, entièrement gratuite. C’est une énergie redoutable qui ne connaît plus la courbure qui ramène à soi et qui freine, mais s’élance sans cesse, d’un élan sans objet, dans l’espace qui s’est ouvert avec l’effacement de soi et le retrait de Dieu » (56). Lorsque ce jour arrive pour Guyon en 1680, de nouveau grâce à une parole masculine, elle naît à la « vie parfaite » qui est l’aboutissement de sa quête, la déification finale, i.e. l’union consommée avec Dieu par identification avec lui. La déification remodèle le temps (on a affaire à un temps du présent et de l’éternité) et l’espace (en abolissant l’opposition dehors/dedans) : il ne reste plus qu’un dehors infini qui se confond avec Dieu. Dieu et le sujet se sont dissous mais l’amour demeure, autrement, comme « amour sans sujet, puissance pure de dilatation de l’être » (61). L’âme est devenue indifférente, « au-delà du bien et du mal dans le pâtir » (65). Ouverte à la douleur comme au bon, elle est « allopathique, [et] ne se défend plus de l’Autre » (65) et abandonne son regard pour celui de Dieu, sa volonté pour la sienne. Guyon fera l’expérience de Dieu parlant, agissant en elle – expérience théorisée par Freud avec l’image de l’Autre scène où « ça » parle en moi. Dieu est inconscient dira Lacan : la preuve en est l’écriture qui s’empare d’elle et la traverse pour donner Les Torrents, texte rédigé presque automatiquement dans un « état où le Verbe lui-même opère » (71).
      C’est à ce moment que Guyon commence une vie apostolique et que ses écrits se diffusent. C’est aussi le début des problèmes soulevés par l’oraison qu’elle prêche aux femmes du peuple. Elle connaît une première réclusion. Puis elle croise Fénelon : « une des plus belles rencontres du siècle » (74). Lorsqu’elle le rencontre, il est sans désir, même pour Dieu : elle va s’appuyer sur cette désaffection pour la « retourner, en faire une marque divine, le signe même du désir de Dieu sur lui. Ce fut comme une greffe de désir » (77). Il s’abandonne à elle sans pour autant atteindre son détachement mais le long débat qui s’engage entre eux porte sur la reconnaissance de la lumière divine et du pur amour. Psychanalyste avant la lettre, elle le guide et lui transmet son étrange savoir : en dernier ressort, il faut renoncer à « une garantie absolue » (84) : « l’unique sol est dans l’absence de sol » (85). Il faut alors s’abandonner à « l’inconnu de la volonté » de Dieu (87).
      En butte aux autorités ecclésiastiques et au pouvoir royal via Mme de Maintenon, Guyon va chercher une caution religieuse. Elle rédige ses Justifications et ses Explications des maximes des saints qui suscitent l’hostilité grandissante de Bossuet sans qu’elle ne cède sur sa position. Ce dernier sera le procureur tatillon et pervers du procès de cette mystique d’influence néoplatonicienne qui appartient fort peu à la tradition romaine.
      Car la position de Guyon a des implications théologiques et métaphysiques qui viennent raviver les querelles religieuses à peine éteintes depuis le jansénisme. Ce que ses opposants reprochent au quiétisme est une paresse doublée d’un affranchissement des obligations morales et religieuses. L’abandon à Dieu équivaut à une indifférence au péché et au salut. L’oraison passive met en échec rien moins que l’espérance. Or Millot montre que Bossuet, tenant du tout-symbolique, s’en prend à une attitude où n’existent plus ni discours ni actes : « La position de Bossuet consiste à tenir pour illégitime que l’on se réfère tant à un au-delà du discours qu’à un au-delà du manque. Le champ du religieux ne doit pas excéder celui du discours » (96). Cette position phallogocentrique lui fait méconnaître que le champ du langage comporte l’au-delà de lui-même vers lequel il fait signe et qui est le champ de la jouissance féminine. Pour Bossuet, Dieu est discours et manque tandis que l’ego reste indispensable pour demander son bien à Dieu. Or s’oublier totalement comme le fait Guyon est synonyme de désespoir. « Quitter le terrain solide et borné du moi, c’était sortir des bornes de la religion » (98). En proie à « un désir qui subsiste dans la satisfaction même » (99), Guyon ne s’inscrit plus dans la demande et confond désir et jouissance, démontrant qu’« il y aurait un autre régime du désir que celui qui naît de la privation, et s’éprouve dans la souffrance du manque. Un désir qui ne cesse de se dilater dans la possession, un appétit qui naît de la satiété même, en somme, un régime oxomorique du désir » (100). Or, Bossuet est « trop masculin » pour concevoir que la « jouissance de Dieu est féminine » (101) dit Millot après Lacan. Cet intolérable de la jouissance suscite des stratégies d’occultation et de mise au silence.
      Emprisonnée, Guyon demande un procès qui lui sera refusé, pendant que fait rage la querelle du pur amour entre Fénelon et Bossuet avant l’exil du premier à Cambrai. La querelle ira jusqu’au pape Innocent XII qui finit par publier Cum alias en 1699 condamnant 23 de ses propositions. La vraie question est celle-ci : un amour désintéressé est-il concevable et licite ? Une position d’indifférence est-elle socialement tolérable, théologiquement permise ? La réponse du corps religieux et de l’Etat est limpide : Guyon passera cinq ans embastillée avant d’aller finir ses jours à Blois sans connaître d’autre état qu’abandonnée à Dieu.Cum alias, la lettre pastorale papale est à caractère privé mais elle condamne l’indifférence et l’identification à Dieu qui la sous-tend et constitue, au sein du catholicisme, la fin d’une tentative de compréhension de la mystique. Elle clôt un procès engagé par ceux qui soutiennent, comme le démontre habilement Millot, une position intégralement phallocentrique, et condamne la tradition mystique à ressurgir plus tard dans les salles d’hôpital où la trouvera le psychiatre Janet. L’on comprend dès lors pourquoi Lacan sera à court de références au moment d’évoquer la jouissance mystique. En France, cette position existentielle a été religieusement et politiquement éradiquée. Fin de partie.
       Le chapitre suivant est consacré à Simone Weil. Millot commence par souligner sa laideur soigneusement entretenue qui masque une grande beauté, son caractère inflexible, son engagement permanent, et sa « volonté d’inanité » qui prendra la forme d’une volonté d’inanition la conduisant à une mort précoce en 1943. C’est au milieu d’une existence tournée vers l’action auprès des plus défavorisés et des combattants mais ravagée par ses souffrances physiques qu’elle connaît une première expérience mystique en 1938 à Solesmes où elle a le sentiment d’une présence, expérience redoublée en 1941 à la lecture du Pater. Cette expérience lui fait éprouver la conjonction de la douleur et de la beauté. Ce coup de force qui, comme chez Guyon, met en échec le principe de plaisir et fait s’équivaloir joie et douleur, constitue une « étape d’un parcours mystique » (153) qui sera poursuivi inflexiblement mais sur lequel Millot est plus réservée. Les expériences mystiques, le refus du baptême, le dénuement choisi, assumé, maintenu, les privations finales, concomitantes de la rédaction de textes admirables montrent selon elle que Weil aurait succombé aux « dieux obscurs » de Lacan qui font naître des vocations au martyre. Certes, elle connaît un grand épanouissement intellectuel à Marseille où elle s’est réfugiée mais « il semble qu’elle ait cherché dans l’épuisement une sorte d’exhaustion purificatrice, comme si quelque chose devait être consommé, dévoré, pour laisser place à Dieu. » (167). Ses vastes lectures philosophiques et religieuses lui permettent de chercher à dégager l’unité des expériences mystiques à travers les âges. Comme tout mystique, elle va du subir au consentir qu’elle théorise comme passivité voulue devant une force qui est la nécessité sociale et naturelle. L’amor fati permet d’accéder à une passivité qui fait advenir « le surnaturel » que Weil appelle aussi le réel, la réalité plus pure. Le retrait de Dieu qu’elle ne cesse d’affirmer laisse place au vide primordial qui est, selon ses propres termes, la « décréation ». Dans cette perspective, il convient d’obéir à la nécessité, de renoncer à nos fins et de laisser advenir un vide à la place de la finalité. C’est à New York que Weil fait l’expérience radicale de l’absence de Dieu en lisant les Cathares à qui elle reprendra la nécessité de l’anéantissement du corps, tombeau de l’âme, pour accéder à l’union mystique. Weil ou l’abandon et la résistance tout à la fois, « tentée de voir dans la douleur physique et les atteintes du corps la voie royale à la spiritualité » (188). Cette tentation débouchera sur une volonté d’inanition à son arrivée en Grande-Bretagne où elle supplie les autorités de la France libre de lui donner une tâche y compris lorsque se déclare sa tuberculose. Sa « volonté de destruction » met le principe de plaisir hors jeu en transformant le sujet en objet de la volonté de jouissance d’un grand Autre, ce qui est aussi la définition du masochisme et sans doute cette dangereuse (mais structurale) proximité explique-t-elle les réserves de Millot face à ce destin qui s’inscrit selon elle dans l’échec.
        Hetty Hillesum, jeune étudiante juive hollandaise, à qui 50 pages sont consacrées est une névrosée insatisfaite qui rencontre un analyste jungien vaguement charlatan dont elle s’éprend avant de découvrir l’amour intégral qui la pousse à accepter d’aller travailler au camp hollandais de Westerbork où elle accompagne ses coreligionnaires vers les camps de la mort. Là où Weil souffrait dans son corps et dans son âme, Hillesum inversant son avidité en générosité illimitée découvre peu à peu une paix, une quiétude, qui la situe dès lors à la fois dans la vie et hors d’elle. Mettant à son tour en échec l’opposition bien/mal, en ne voyant, en ne vivant plus que le bien, portée par un amour total, y compris pour les actes les plus vils dont elle fut témoin, elle accompagnera sans faillir les Juifs déportés, sa propre famille avant d’être elle-même déportée et gazée en 1943. « La beauté du monde, l’amour du prochain sont deux façons de prendre le large, le grand large de l’espace intérieur » (247) commente sobrement Millot. Hillesum réclamait, elle passera ses derniers mois à donner sans retenue.
      Ces trois femmes exceptionnelles ont « cet instinct d’approbation » nietzschéen. Leur vie « parfaite » est une « disposition de l’esprit qui se tourne vers le réel » (252). Là où nous refusons la souffrance et cherchons un coupable, elles acceptent et s’abandonnent, creusent la passivité pour la transformer en liberté. Sans être analystes, elles savent que le moi est force de résistance et décident de s’en passer pour être de purs sujets, dans une traversée de l’imaginaire et du symbolique. Pour accéder à l’au-delà du plaisir et du déplaisir, du bien et du mal, elles savent qu’il faut consentir à sa perte. Le désir du rien, « l’objet oral par excellence » (253) qui les anime, n’est pas réductible au manque. Elles découvrent un « autre régime du désir » où le moi s’est effacé pour libérer la pulsion à l’état pur.
       Leur passivité a partie liée au féminin, ce qui suscite les stratégies d’occultation phallocentrées dont Bossuet est un représentant princeps, mais aussi contre lesquelles les femmes résistent, résistant à la jouissance (de l’Autre), à l’effraction, à l’intrusion qui prend la forme de l’Autre radical et maternel. À l’inverse, les « mystiques radicalisent le consentement jusqu’à l’abolition des frontières » (255). Le Dieu qui leur échoit alors qu’elles ne demandaient rien, est « un Dieu baroque, ellipse à double foyer. Dieu le père qui protège, un peu mère poule, un peu tyran, et Dieu dans Dieu, espace paradoxal […] qui s’ouvre au creux du plus intime, un espace au second degré qui serait pure ouverture, sans bords, sans bornes » (256). Ce Dieu situé au-delà du principe de plaisir ressemble à la Chose de Lacan comme champ de la jouissance perdue, lieu où advient la jouissance des femmes similaire « à cette étrange liberté que Guyon nommait le Large » (256). Certes, il nous faut faire un effort théorique pour comprendre l’expérience guyonnienne mais justement, pour notre époque sécularisée, ce rapport constitue une chance : « un rapport nouveau au réel plus pur qui offre cette netteté des contours […] comme partout où le sens s’évide pour que l’air s’engouffre. » (257). Loin de l’aliénation imaginaire ou de l’arraisonnement au tout-symbolique, il nous faut aller vers ce « pays du réel » dont ces dames « eurent la passion. » Car leur jouissance supplémentaire a ceci qu’elle est singulière et voue la tentation phallocentrée au néant. Elle inter-dit le primat de la jouissance phallique érigée en seule norme. Éloge de la singularité à une époque qui la nie en la transformant en identification forcée à un groupe (les femmes) ou en l’homogénéisant (le genre humain). En même temps, il n’est pas anodin que ces jouissances singulières qui s’opposent à toute normalisation (ce qui leur fait prendre ces formes que la majorité juge étranges, incongrues, idiotes) s’énoncent en des temps troublés. Querelle religieuse (quelle place pour Dieu, quelle place pour le sujet du pur amour ?), guerre mondiale (imposition d’une idéologie à toute la planète) : c’est toujours lorsque la poussée phallocentrée devient hégémonique qu’apparaît cette Autre jouissance. Elle est aussi l’effet de ce qui la nie, le négatif radieux d’un positif aliénant. Et rédigeant son très bel ouvrage de nos jours, Millot fait entendre par leur talentueux et sublime intermédiaire, la voix minoritaire de celles qui se sont mises « de l’autre côté » de la division sexuelle, du côté « femme » de la castration. La chose est salutaire. Elle l’est d’autant plus que si Millot prend ses références dans le champ analytique, elle sait aussi les faire partager à un public plus large, elle impose à petites touches la voie analytique dans le champ culturel, non comme thérapie mais comme mode d’énonciation, façon d’aborder des notions classiques : la biographie, la féminité, la liberté individuelle, le désir. Elle donne sa validité à la pensée analytique comme outil d’analyse culturelle loin des modes éphémères dominantes qui en font des « constructions sociales », c’est-à-dire aussi des éléments d’une grammaire dont il y a toujours un maître pour donner la loi.